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Retrouver les économies achats dans le compte de résultat ou l’art de peigner la girafe

By 3 avril 2020No Comments

Le calcul détaillé des économies achats consomme des ressources et suscite des frustrations des Directions Financières. Est-ce bien utile ?

 


En 1826, le Khédive d’Égypte offre à la France une girafe qui passera le reste de sa vie au Jardin des Plantes avec un soigneur qui lui est dédié. A qui questionnait son emploi à temps plein, celui-ci faisait valoir le temps passé à « peigner la girafe », tâche méticuleuse et utile comme vous pouvez l’imaginer. L’expression est restée et me revient à chaque fois qu’on me parle des efforts consacrés à calculer des économies achats. Car ce difficile exercice suscite immanquablement des questions de bon sens : à qui servent ces chiffres et à quoi ? est-ce que leur usage justifie l’effort à les produire ? est-ce qu’ils représentent bien la valeur ajoutée des Achats ?
Essayons d’y répondre. Grosso modo, le montant d’économies achats peut servir à trois populations : aux managers Achats pour piloter la performance de leurs acheteurs ou justifier les ressources dont ils disposent, aux responsables d’entités opérationnels pour piloter leur activité et aux directeurs financiers pour superviser la réalisation d’un objectif de résultat. Intéressons-nous ici à ces derniers. Les autres feront l’objet d’une autre chronique.
 
Les attentes impossibles des Directeurs Financiers
 
Les Directeurs Financiers se trouvent être les plus critiques des montants d’économies annoncées par les Achats qu’ils prétendent ne pas retrouver dans leur compte de résultat. Cela peut se comprendre, car les économies sont virtuellement impossibles à pister. D’abord, tous les coûts évités sortent du périmètre même s’ils sont le fruit d’un travail réel et profitent incontestablement à l’entreprise. Ainsi, dans un contexte inflationniste, l’acheteur aura beau avoir modéré considérablement une hausse, le financier ne verra qu’une hausse et non un « coût évité ». De même, une « économie » réalisée sur l’achat d’un actif, comme un équipement, ne peut être calculée que par rapport à une base théorique qui n’a aucun sens financier. En outre, cela n’impacte le résultat net qu’au fur et à mesure de l’amortissement de l’actif.
Même pour les achats récurrents, les choses ne sont guère simples. Imaginez que l’économie théorique produite par le travail de l’acheteur, matérialisé par un contrat cadre par exemple, représente une brique du « pont » entre le résultat de l’année précédente et celui de cette année : le pont ne se construit qu’avec bien d’autres briques – variation de volumes, de taux de change, de niveau de stock, de périmètre – qui sont difficiles à appréhender précisément. Sans compter qu’un produit et qu’a fortiori un service sont rarement strictement identiques d’une année à l’autre. Comment valoriser précisément la fonction supplémentaire d’un produit ou le grade légèrement différent d’une matière première ?
 
Et comment y répondre ?
 
L’attente de données chiffrées de la part d’une direction financière surtout quand elle a rendu public un plan d’efficacité ou un montant de synergies à l’occasion d’une réorganisation ou d’une fusion est bien légitime. Mais en tant que Direction Achats, ne vaut-il mieux pas consacrer ses ressources à mener ses projets achats plutôt que de produire des montants d’économies avec un impact sur le P&L* qui ne lui servent pas à grand-chose ? Le moyen le plus simple serait donc de faire assumer la charge nécessaire à produire de telles données à ceux qui en ont l’usage, à savoir la Direction Financière. Un compromis peut aussi se trouver en ne cherchant ni l’exhaustivité des chiffres ni leur exactitude. L’idée est d’une part de ne s’en tenir qu’à quelques inducteurs de coût majeurs et d’autre part de définir des règles de calcul simples qui ne reflètent pas nécessairement la stricte réalité mais qui permettent de suivre l’évolution dans le temps et de mesurer ainsi le fruit du travail des acheteurs.
 
Pour une Direction Achats, il s’agit donc de consacrer ses ressources à tirer le meilleur parti de sa base de fournisseurs, à travailler avec ses prescripteurs en interne… et de limiter ses efforts consacrés à peigner le P&L dans le sens du poil.
 
 
*P&L = « Profit and Loss » = compte de résultats

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