Entre solidarité nationale et performance achats, l’entreprise doit adopter une ligne de conduite claire pour les achats.
En juillet dernier, le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, demandait aux directeurs achats des entreprises du CAC 40 de faire preuve de patriotisme économique et d’accentuer leurs achats auprès de PME françaises. A-t-il ainsi fait avancer le schmilblick ? En termes de management, thème principal de cette chronique, rien n’est moins sûr. Le sémillant ministre demande aux acheteurs de choisir un fournisseur français même s’il n’est pas le plus compétitif, autrement dit de porter un coup de canif à la mission première des acheteurs, pour le seul bienfait de la communauté nationale. Beaucoup de directions générales ne font pas mieux en fixant aux achats des objectifs d’économies ambitieux et en exigeant dans le même temps un comportement « responsable » qui les amènerait à favoriser le tissu économique local.
L’acheteur se retrouve à devoir trancher une question qui n’est pas de son ressort. Or, s’il n’y avait qu’un seul message à retenir de cette chronique, c’est bien que les directions achats doivent adopter et partager une ligne de conduite claire.
Mais laquelle ? Abordons la question suivant deux angles différents.
La morale, le politique et l’économique ne sont pas du même ordre
Tout d’abord, l’approche macro. Le philosophe André Comte-Sponville dans « Le Capitalisme est-il moral ? » nous donne une clé de réponse. Il distingue les ordres économique, politique et moral. Mélanger les ordres génère des dilemmes insolubles. En l’occurrence dans l’ordre économique, les entreprises opèrent en premier lieu pour leur profitabilité et leur croissance pérennes. Croire qu’elles suivent une logique « morale », c’est mélanger les genres et se tromper. Il incombe au politique d’établir les règles imposées aux entreprises, qui favorisent l’enrichissement et le bien-être nationaux. Ces règles politiques peuvent être elles-mêmes suscitées par l’ordre moral. Quand le politique demande à ses agents économiques une préférence nationale, c’est qu’il n’a pas su établir les conditions dans son périmètre de responsabilité pour favoriser la compétitivité internationale. L’esprit protectionniste est un terrible aveu de faiblesse.
Définir une ligne claire pour éviter le dilemme moral/économique
A l’échelle de l’entreprise, et à court terme, un acheteur doit prendre la solution la plus compétitive d’où qu’elle vienne. En revanche, une ligne de conduite claire établie par la direction protégeant les intérêts à plus long terme de l’entreprise peut venir la balancer. Par exemple, on comprend bien que la vitalité d’une filière, d’un « écosystème », participe au succès d’une entreprise. Charge au grand donneur d’ordres de l’animer, d’aider des PME innovantes ou des PME dont le savoir-faire est précieux en les rendant plus compétitives. Cela doit être réfléchi et évalué, et non pas fait suivant une vague obligation patriotique. De même, quand on a le choix (la question ne se pose pas quand il s’agit de creuser des tranchées en Lozère), faire travailler une PME locale peut présenter des intérêts de long terme en matières de gestion de risques, d’empreinte carbone, de mise sous pression de plus gros acteurs. Enfin, sélectionner un fournisseur français pour qu’il devienne (ou demeure) par ailleurs un client de sa société nécessite un arbitrage de direction générale qui doit mettre en regard le surcoût achats et l’opportunité commerciale.
En somme, l’entreprise doit factualiser les avantages de l’achat « français » à moyen et long termes pour définir des règles claires que les achats appliqueront sans laisser de place au jugement « moral ».
Et, en tant que citoyens, à nous de faire pression sur le politique pour établir un cadre légal et économique à nos entreprise qui stimule leur compétitivité. Et vive la France !
Article publié dans LDA – n°219 – Septembre 2013