L’entreprise amène parfois les individus à adopter des comportements nuisibles qui leur échappent. Il incombe aux managers de susciter la confiance pour tirer le meilleur de chacun et d’une équipe.
Voiture et entreprise… lieux à risque !
Quand elle conduisait, ma mère, un être exquis et bienveillant, se transformait parfois en dragon. Il suffisait d’une queue de poisson ou d’une priorité ignorée pour lui faire dire des noms d’oiseau qu’on ne lui connaissait pas. Nous avons tous constaté qu’une fois au volant certains conducteurs changent de comportement : le vieux gentleman se retrouve à ignorer la mère avec sa poussette sur le passage piéton, le jeune qui embrasse de grandes causes humanitaires n’hésite pas à s’engager sur le carrefour quitte à bloquer la circulation pour passer un feu vert…. Je suis troublé de constater un phénomène similaire en entreprise. Un collaborateur intègre dans le civil n’hésitera pas, en réunion, à lancer des piques à un concurrent supposé, à bluffer un peu sur un projet en cours, à tordre des chiffres pour se faire tresser des lauriers, à gesticuler à force d’eMails avec la moitié de la société en copie…
Quand on s’égare dans un rôle
Les racines de ce décalage sont profondes, car l’entreprise est le lieu de tous les enjeux: ambition, soif de reconnaissance, besoin de revenu, désir de se réaliser… Pour beaucoup, l’image qu’ils projettent auprès de leurs pairs et de leur boss est l’artisan de leur succès ou la cause de leurs déboires. Or petit effet de posture après petit mensonge, ils risquent de s’enfermer dans un ensemble de comportements qui constituent un personnage, un « rôle » qui leur échappe. Et les conséquences peuvent s’avérer dramatiques : à soigner son image plus que sa performance, ils n’apprennent plus rien de leurs échecs, écoutent moins leur environnement et les relations avec leurs collègues s’en trouvent biaisées.
Eviter de s’enfermer dans un rôle dépend avant tout de soi, de la confiance en soi. Rien de meilleur à cette fin que de suivre l’enseignement des philosophes antiques et d’apprendre à se connaître soi-même. Puis de passer à l’action et de suivre Nietzsche : « deviens ce que tu es !».
En entreprise, il incombe au manager de créer les conditions de la confiance au sein de son équipe. Eliminer la peur et susciter la confiance en soi. Faire accepter l’erreur, imposer la transparence comme vertu cardinale : voilà qui évite à ses collaborateurs de s’enfermer dans des postures. Les séminaires d’équipe cherchent justement à faire révéler chaque personne telle qu’elle est en éliminant les scories de posture pour retrouver une communication fluide au sein de l’équipe. Un bon manager ne pourra pas transformer un sale type dans le privé en chérubin dans l’entreprise mais il saura éviter que les personnes bienveillantes finissent par adopter des comportements qui ne leur ressemblent pas.
Jeux de rôle en négociation ?
Dans le monde des achats, demandons-nous par extension si acheteurs et fournisseurs finissent par jouer des rôles entre eux et si cela nuit à l’efficacité de l’achat.
Côté acheteur, les enjeux sont de toute autre nature que ci-dessus : son évolution de carrière ne dépend pas directement de la qualité de la relation avec ses fournisseurs. Nombre d’acheteurs reconnaissent d’ailleurs se sentir plus à l’aise avec leurs fournisseurs qu’avec leurs clients internes ou leurs collègues.
Si posture il y a, elle est bien différente : il s’agit seulement des jeux de rôle inhérents à une situation de négociation dans laquelle chaque protagoniste cache sa partition. Personnellement, j’ai toujours jugé qu’un maximum de transparence payait sur le long terme avec ses fournisseurs les plus importants. Sans pour autant caracoler au pays des Bisounours, la transparence sur les contraintes et objectifs respectifs, constitue un socle sur lequel se bâtit la confiance. Et il n’y a pas d’innovation ou de gains partagés majeurs sans confiance. Casser le jeu de rôles et construire une relation clients-fournisseurs riche nécessite une bonne capacité d’analyse des forces en présence et beaucoup d’assurance de la part de l’acheteur.
En somme, en entreprise en général, comme dans une relation client-fournisseur en particulier, on n’est jamais meilleur que quand on est soi-même.