Tout pousse les grands clients à travailler d’abord avec de grands fournisseurs. Il faut y résister et réserver une part significative de ses achats aux PME.
Les économies de marché tendent à favoriser les plus grandes entreprises. Il y a bien des raisons à cela : effet de taille, facilité d’accès aux capitaux, pouvoir d’influence du politique, capacité d’investissements en R&D ou dans la formation… De fait, il est frappant de constater les énormes écarts de productivité entre grandes et petites entreprises surtout dans le secteur manufacturier : la productivité de petites entreprises industrielles au Royaume Uni ne représente que 60% de celle des grandes. Ce taux descend même à 20% en Turquie ou en Hongrie*. Cet écart est moins important dans les services où les moyennes entreprises peuvent même battre les grandes entreprises sur des niches de spécialité.
Aider les plus faibles, c’est bien… et profitable
C’est ce qui a conduit les Etats-Unis – pays libéral s’il en fût – à créer depuis le 19ème siècle un corpus de lois Antitrusts qui visent à déjouer « les menaces au flux et reflux fertile de la concurrence ». Plus récemment, la Small Business Administration a été créée dans les années 50 pour protéger les intérêts des petites entreprises et pour « préserver la libre concurrence et renforcer l’économie de notre pays ». C’est la reconnaissance explicite que la solidité économique d’un pays tient au foisonnement des entreprises qui la composent.
Cela vaut tout autant pour les citoyens : donner à tous les habitants d’un pays la même chance de réussite notamment par l’éducation ne procède pas seulement d’une motivation morale ou civique. Il s’agit aussi de multiplier les chances de faire éclore des talents et des entrepreneurs qui viendront enrichir l’ensemble de l’économie. C’est mécanique : plus de gens sont formés et conditionnés pour réussir plus il y aura de succès au-delà des élites bien établies.
Travailler avec de grands fournisseurs, c’est naturel
A l’heure où « l’open innovation » fait florès, où les entreprises reconnaissent le potentiel d’innovation apporté par les fournisseurs et l’importance de la vitalité d’écosystèmes locaux, les acheteurs doivent s’inspirer de ce qui précède et se poser de sérieuses questions sur la nature de leur panel fournisseurs. Depuis des décennies, ils ont cédé aux sacro-saints principes de réduction du nombre de fournisseurs et de la massification. Pour toutes sortes de bonnes raisons : augmenter la position de négociation, mieux suivre la performance des fournisseurs, réduire le coût de gestion du fournisseur… Les acheteurs sont tentés de travailler avec un fournisseur de grande taille pour bénéficier d’une couverture géographique large voire mondiale et de plus grandes ressources en Recherche & Développement mais aussi pour minimiser les risques opérationnels de capacité, de qualité, RSE… Bref, tout les pousse à réduire leur portefeuille de fournisseurs et à le concentrer, quand c’est pertinent, sur de gros fournisseurs surtout quand ils œuvrent eux-mêmes dans une grande entreprise.
Aider les PME, ça paye sur le long terme
Renouveler son panel fournisseurs est toujours sain pour apporter du renouveau et maintenir l’ensemble des fournisseurs établis sous pression. Il s’agira de préserver une partie significative aux PME. Pour les entreprises qui ont une forte emprise locale (construction, banque de détail), se fournir auprès de PME locales se fait tout naturellement pour nourrir leur réseau localement et soigner leur image. Pour les autres et quand cela fait du sens, les acheteurs veilleront à identifier et à développer des PME qui seront peut-être, grâce à leur agilité et leur innovation, les fournisseurs stratégiques de demain. Aider les PME à grandir se traduit par une attention particulière : des termes de paiement plus favorables, des contrats plus « légers », la rémunération des pilotes ou tests et le traitement respectueux de leurs ressources commerciales (autrement dit ne pas les faire courir inutilement). Il s’agit aussi de transmettre du savoir-faire comme un manager le ferait avec ses plus jeunes collaborateurs, car développer une PME c’est non seulement s’assurer d’avoir un meilleur fournisseur demain mais c’est aussi le rendre plus fort et réduire sa dépendance envers son client.
Au total, la capacité des Achats des grandes entreprises à identifier et à développer des PME assurera à leur entreprise davantage d’agilité et challengera utilement leurs plus gros fournisseurs. Cela appelle la mise en place d’un indicateur de suivi spécifique.
*OECD, “Productivity gaps across enterprises”, in Entrepreneurship at a Glance 2017